La vérité n’existe jamais que dans ses variations, soit dans ses effets. C’est l’axiome de Lacan : l’inconscient transférentiel se lit et s’interprète, et ne peut que mentir quant à l’inconscient réel, soit à définir ce dernier dans les termes de la Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi de 1976 : quand l’esp d’un laps, soit « l’espace d’un lapsus, n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient [1] ». L’instance de l’inconscient-jouissance, illisible qui n’est pas à lire, ne se saisit que par ses effets dans le symptôme. Ceux-ci sont appréhendés dans leur réfraction au plan de l’inconscient transférentiel, soit de la vérité menteuse de toute nécessité.
Dès lors, se pourrait-il que le parlêtre n’échappe jamais au mirage de la vérité ? La psychanalyse pourrait-elle y prétendre ? Comment, au demeurant, donnerait-elle accès au hors sens avec les moyens du sens ? Comment donc ajuster le sujet à l’épreuve du réel de l’inconscient ?
Tel serait l’objet de l’ultime frayage de Lacan et son forçage. Lacan le conçoit à la manière d’un « coup » qui vaudrait subversion de l’ordre du sens, précisément un « coup de sens ». Ce serait, à la lettre, un attentat. Un attentat sur le sens, sa subversion-éclair qui en abolirait la domination, l’espace-temps exact de la frappe. Pas moyen de faire autrement que l’efficace du « coup de sens blanc [2] » qui établirait le sens à son degré zéro de vide. « Un signifiant nouveau qui n’aurait aucune espèce de sens, ce serait peut-être ça qui nous ouvrirait à ce que, de mes pas patauds, j’appelle le réel. […] Tout cela a un caractère extrême. […] Comment n’a‑t-on pas encore assez forcé les choses pour faire l’épreuve de ce que ça donnerait de forger un signifiant qui serait autre ? [3] ».
Cette facture nouvelle du signifiant fera violence à l’usage commun. Ce sera aussi exactement le contraire de notre pratique qui nage, selon le mot de Lacan, dans le sens et le joui-sens des mots [4]. Lacan faisait dans la même leçon amende honorable d’entretenir son auditoire d’une telle extrémité. C’était en effet procéder à l’extrapolation des procédés de subversion du dire de l’analysant lorsqu’ils mobilisent la motérialité qui en fait la substance de jouissance. Le blanc de l’effacement du sens porte alors sur S2, dont la place reste vacante bien que réservée. Le S1 est dès lors maintenu tout seul, hors sens, mais non sans signification. Celle-ci serait le bord résiduel du semblant réduit au sens blanc qui subsiste de la jouissance du savoir acéphale, sans rime ni raison, de l’inconscient réel. L’épreuve qu’en ferait le sujet saurait-elle aller au-delà ? C’est l’aporie de Lacan, et toute l’audace de sa perspective. L’inintelligibilité expresse de l’intitulé de son Séminaire de 1976–1977 en demeurera comme la figure emblématique.